Karen Pugh-Clarke
MSc, BSc (Hons) RN.
Clinical Nurse Specialist for CKD at the Royal Stoke University Hospital
Stoke-on-Trent, England, UK
k.pugh-clarke@keele.ac.uk
Pour les personnes atteintes d’insuffisance rénale terminale (IRT), le passage de l’hémodialyse au centre (HDC) à l’hémodialyse à domicile (HDD) peut transformer leur vie. En plus de favoriser les auto-soins, et en fin de compte leur indépendance, l’HDD est associée aussi à plusieurs résultats cliniques favorables en termes d’adéquation à la dialyse, de survie et de qualité de vie1,22. Néanmoins, la décision de dialyse à domicile est incontestablement de la compétence du patient, basée sur l’auto-évaluation des avantages et des inconvénients de ce genre de traitement. Une telle évaluation est profondément influencée par les croyances personnelles, les valeurs et les attentes, qui sont fondamentales pour la prise de décision finale. Avant cette décision définitive, l’impact global de l’HDD sur soi et sur les aidants potentiels nécessite une attention minutieuse. L’objectif de ce chapitre est de donner un aperçu de la vie avec l’HDD, et, ce faisant, de répondre à certaines des controverses perçues. Les questions relatives aux aspects psychologiques, sociologiques et économiques de l’HDD seront examinées, en vue de fournir une base positive sur laquelle fonder la prise de décision.
L’HD conventionnelle comprend trois séances de dialyse par semaine, chaque séance durant quatre heures. Alors que ce régime est une thérapie de remplacement de la fonction rénale, dans la mesure où il maintient la vie, les études indiquent que des régimes alternatifs, tels que l’hémodialyse à domicile intensive (HDDI), ont le potentiel d’améliorer les résultats sur les patients.
L’HDDI est définie comme une hémodialyse à domicile augmentant la fréquence de la dialyse (jours / semaine) et / ou la durée de session supérieure à un calendrier de l’HDC standard1. Conformément à Tennankore et al. (2014)1, il existe trois schémas thérapeutiques prédominants pour l’HDDI (Tableau 1).
Principaux régimes de I'HHDI1 | ||
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Régimes | Fréequence de la dialyse |
Durée de la session |
Hémodialyse quotidienne courte | 5 sessions ou plus par semaine | 2.5 à 3 heures |
Hémodialyse longue | 3 à 4 fois par semaine | ≥ 5.5 heures |
Hémodialyse longue et fréquente | 5 sessions ou plus par semaine | ≥ 5.5 heures |
L’hémodialyse « quotidienne courte » se caractérise par une augmentation de la fréquence de dialyse et une diminution de la durée de la séance. Les recherches suggèrent que, comparée à l’HD standard au centre hospitalier, l’hémodialyse quotidienne courte au domicile peut être associée à une amélioration de la gestion du volume liquidien, à une réduction de l’indice de masse ventriculaire gauche et à une réduction des marqueurs inflammatoires2. L’hémodialyse de « longue durée » et « l’hémodialyse de longue durée plus fréquente » sont toutes les deux caractérisées par des longueurs de session de cinq heures et demie ou plus, au minimum, et comme l’indique le terme, impliquent également une augmentation de la fréquence de dialyse. L’hémodialyse longue et à longue durée avec augmentation de la fréquence peuvent se faire pendant le sommeil du patient1, sont liées à l’amélioration du dénouement de la grossesse3,4,5, d’une amélioration du contrôle de la pression artérielle6 et d’une augmentation de la survie7,26.
Un avantage majeur de I’HDD en général est sa flexibilité. Les patients ne sont plus exposés à la rigidité de la dialyse au centre, comme en témoigne Peter, âgé de 47 ans, sur une traitement d’hémodialyse journalière courte depuis un an:
“Je dialysais à l’unité d’hémodialyse de l’hôpital principal pendant les deux premières années de mon insuffisance rénale. Bien que les médecins et le personnel infirmier aient été formidables, je trouvais que l’horaire était vraiment rigide. Mes jours d’hémodialyse étaient les mardis, jeudis et samedis à 17h30. Cela signifiait que si j’avais un travail prévu le soir (je suis occupé à mi-temps dans la vente), ou par exemple, une soirée des parents à l’école de ma fille, je devais essayer de changer mon jour de dialyse, ce qui n’était toujours possible.”
Peter apprécie évidemment la flexibilité qu’offre l’HDDI, qui, selon ses propres termes, a amélioré sa qualité de vie liée à sa santé:
“Du moment que j’accomplis les heures [de dialyse] nécessaires, je peux adapter ma dialyse en fonction de mes occupations. Plus d’horaires incommodes et rigides qui me font manquer les choses que je veux faire. Après deux ans, je sens que finalement, j’ai retrouvé ma vie d’avant. »
Ainsi, pour les patients comme Peter, l’HDDI est avantageuse par rapport à l’HD au centre en ce sens qu’elle facilite la continuation de l’occupation professionnelle ou d’autres activités et maintient une normalité relative.
L’insuffisance rénale chronique (IRC) est associée à un dysfonctionnement endocrinien, ayant un impact négatif sur la fertilité. La diminution de la fonction rénale entraîne un dysfonctionnement de l’axe pituitaire-hypothalamique1, occasionnant une carence en testostérone, une altération de la spermatogenèse et un dysfonctionnement érectile masculin, ainsi que des irrégularités du cycle menstruel et une aménorrhée chez les femmes9.
La grossesse chez les femmes atteintes d’IRT sous dialyse a toujours été considérée comme un défi10. Incontestablement, la dialyse entraine un faible taux de conception et un mauvais déroulement de la grossesse, (avortement spontané, accouchement prématuré, faible poids du bébé à la naissance)1. Néanmoins, au cours des dernières années, les issues de la grossesse se sont améliorées10, ce qui reflète une gestion plus adaptée des patientes atteintes d’IRT et qui se trouvent enceintes3.
En unissant l’optimisation de l’état nutritionnel avec la surveillance rigoureuse de la mère et du fœtus, l’HDDI peut conduire à des issues de grossesse favorables. Barua et al. (2008)3 ont constaté que la conversion de l’hémodialyse chronique au centre vers l’hémodialyse nocturne (7-8 heures, 5-7 nuits par semaine) à domicile amélioré le taux de conception et entraîne six naissances vivantes (à un âge gestationnel mature) dans un groupe de cinq patientes. Plus récemment, Brahmbhatt et al. (2016)4 ont observé une grossesse réussie chez une patiente recevant une HDD quotidienne au dialysat de faible volume et à faible teneur de lactate (10-26 heures de dialyse par semaine [selon le stade de la gestation]) et le groupe KIHDNEy a signalé d’autres cas en Europe (en attente de publication).
L’IRT et sa prise en charge par dialyse induisent des facteurs de stress psychosociaux importants et exigent des réponses adaptées11. L’hémodialyse à domicile pose des problèmes et des défis spécifiques, que nous allons maintenant aborder plus en détail.
Selon Bennett et al.12, l’HDD est bien plus qu’un traitement médical: il s’agit en fait d’un mode de vie. Non seulement l’HDD a de profondes implications pour les patients, mais elle influence aussi la vie de ceux et/ou de celles qui les entourent.
20 à 30% des patients en phase terminale de maladie rénale, sont victimes régulièrement de dépression14. Ceci est inévitablement la conséquence de facteurs multiples, tels que se sentir impuissant face à la maladie, être désespéré et perdre la confiance en soi. Cependant, les études indiquent que les patients en traitement par l’HDD éprouvent des niveaux de dépression plus faibles que leurs homologues traités en HD au centre15,16. Bien que les raisons de cette différence ne soient pas encore entièrement comprises, Suzuki et al. (2014)16 suggèrent que l’amélioration de la qualité du sommeil et de l’augmentation de l’énergie produites par l’HDD pourraient réduire les symptômes dépressifs. Indépendamment de cette différence, Bennett et al. (2015)12 préconisent que les patients sous HDD fassent l’objet d’une évaluation formelle des symptômes de dépression. Une telle évaluation devrait être effectuée régulièrement, afin d’identifier l’apparition subtile des symptômes et d’adapter les stratégies de traitement en conséquence.
Les patients en HDD peuvent connaître le mêmes problèmes psychologiques généralement rencontrés chez les patients en HD en centre. Un de ces problèmes est celui de l’isolement. Tong et al. (2013)17 ont étudié les croyances et les attentes des patients et des soignants à l’égard de la santé et de la sexualité. Bien que l’évaluation de l’HDD ait été généralement positive, la perte du contact social et des autres patients apparaissent comme des conséquences négatives.
En réponse à cette constatation, les auteurs préconisent un certain nombre de stratégies pour minimiser l’isolement, à savoir: le soutien des autres patients, les conversations par Internet et le rencontres individuelles (en tête-à-tête). La valeur du soutien par le malade est évidente. En témoigne, Anthony, 57 ans, en hémodialyse à domicile pendant trois ans:
“La chose qui me manquait le plus lorsque j’ai commencé à dialyser chez moi était la compagnie des autres patients de l’unité. J’ai vraiment manqué de leur camaraderie et de leur plaisanteries. Quand j’en ai parlé à mon infirmière, elle a demandé si elle pouvait me mettre en contact avec un groupe local de soutien pour les personnes en dialyse à la maison. Bien que l’idée ne m’ait pas plu au début, j’ai accepté et pris contact avec eux. C’est l’une des meilleures choses que j’ai jamais faites. Nous nous rencontrons régulièrement à l’extérieur de l’hôpital et sommes en mesure de nous soutenir les uns les autres à travers les défis qu’impossent la dialyse à domicile. Je ne me sens plus isolé.”
Bennett et al. (2015)12 recommandent également l’introduction de systèmes «buddy» dans les programmes d’HDD. Les systèmes de jumelage permettent aux patients déjà établis d’être jumelés à des patients qui ne connaissent pas l’HDD, ce qui constitue un moyen de fournir un soutien de patient à patient grâce à une expérience unique.
Les patients devraient être encouragés à gérer leur traitement à la maison car ils pourront mieux contrôler leur vie, mais un partenaire de soins qualifié est nécessaire. Les partenaires de soins peuvent être le conjoint, un membre de la famille (par exemple, un frère ou une sœur) ou un ami, et avoir différents niveaux de participation aux soins du patient. Certains partenaires de soins peuvent assumer l’entière responsabilité des soins prodigués à tous les patients, en exécutant tous les aspects de l’HDD; d’autres peuvent n’avoir qu’une implication limitée dans le traitement comme canuler une fistule artério-veineuse et retirer les aiguilles après la dialyse, ou encore n’aider qu’en cas de problème.
Quel que soit le degré de participation, les partenaires de soins sont susceptibles d’être victime d’une multitude de facteurs de stress psychosociaux. Ce stress peut provenir d’une perte de revenu, d’un isolement social, de la fatigue, de la détresse ou de la dépression ainsi que résulter d’une mauvaise santé physique18. Combiné à une responsabilité pouvant être ressentie comme écrasante, cela peut prédisposer à l’épuisement du partenaire de soins, avec comme conséquence potentielle l’abandon de l’aide au traitement.
L’équipe de l’HDD est dans une position privilégiée pour identifier les signes avant-coureurs de l’isolement, de mauvaises communications ou des frictions entre le patient et l’aidant, et peut initier des moyens pour alléger le fardeau du partenaire de soins12. Ces stratégies consistent:
La supervision proactive des patients et des partenaires de soins est fondamentale pour le succès des programmes de l’HDD, comme le montrent les deux comptes rendus suivants.
Sylvia, 63 ans, est la partenaire de soins de son mari Michael depuis 18 mois.
“Lorsque nous [le partenaire de soins et son mari] sommes retournés à la maison, j’étais terrifiée à l’idée de faire quelque chose de mal. Je me sentais complètement dépassée par le niveau de responsabilité que j’avais. Je ne suis pas une personne habituée aux pratiques médicales! Cependant, avec l’aide de notre infirmière de dialyse, nous avons rapidement commencé une routine, et je suis devenue beaucoup plus confiante dans l’installation de la machine et la canulation de sa fistule [de son mari].”
George, 72 ans, s’occupe de sa femme Alice depuis un an.
“Au début, je me sentais bien, mais après sept mois de travail en tant que partenaire en soins de dialyse à temps plein, j’ai commencé à ressentir de la tension. Je devenais agressif avec ma femme, et je culpabilisais. Nous avons eu de la chance parce que notre infirmière l’a repéré immédiatement et a suggéré que nous ayons accès au « service de répit ». Les soignants nous rendaient visite trois fois par jour et une infirmière de relève est venue faire la dialyse. J’ai pu prendre une pause de deux semaines et rendre visite à ma famille à Londres. Je me suis senti revigoré et j’ai repris mon rôle de partenaire de soins. Je vais définitivement utiliser le service de répit à nouveau dans le futur.”
La capacité de voyager et d’organiser des vacances sont des aspects importants de la vie de nombreux patients et peuvent fortement influencer le choix de leur modalité de traitement. Alors que la dialyse loin de chez soi est associée à un risque accru d’infection, d’anémie et de réponse inflammatoire19.
Aider et encourager les patients en HDD à profiter d’un jour férié peut leur donner un sentiment de normalité. De plus, les congés peuvent avoir un impact positif sur la qualité de vie liée à la santé et permettre aux patients de rester plus longtemps en HDD12.
Kathryn, 53 ans, hémodialysée à domicile depuis deux ans
“L’hémodialyse à domicile a transformé ma vie de patiente rénale. Plus besoin de se battre avec la circulation et la météo pour se rendre à l’unité, et ne plus attendre le personnel infirmier pour me brancher à et me débrancher de la machine. Je peux dialyser dans le confort de ma maison en sachant que l’aide est au bout d’un simple appel téléphonique.”
Les infirmièr(e)s qui soignent des patients en HDD ont la capacité d’appuyer la dialyse de voyage. Les possibilités pour faciliter la dialyse de vacances peuvent être de:
D’un point de vue financier, plusieurs études ont démontré dans plusieurs pays que l’HDD est plus rentable que l’HD au centre, en partie à cause de la réduction des frais de personnel, des frais généraux, des frais de transport et d’infrastructure20,23,24,25. À mesure que la population de dialysés augmente et que le fardeau financier de l’IRT sur les systèmes de santé mondiaux augmente constamment21, les fournisseurs de soins de santé cherchent à accroître l’adhésion des patients aux programmes de l’HDD. Cependant, étant donné que certains coûts peuvent être transférés du centre de dialyse au patient, certains patients peuvent le considérer ce transfert comme un obstacle12.
L’électricité et l’eau, le stockage des consommables de dialyse, l’espace ménagé pour la mise en place du fauteuil de dialyse, de la machine, des appareils de traitement et de l’équipement de surveillance-santé, tels que balances et tensiomètres, s’ajoutent aux coûts associés à l’installation de dialyseurs et de systèmes de purification de l’eau20. Les nouvelles machines portatives nécessitent moins de frais pour fonctionner à la maison que les machines traditionnelles ainsi que le traitement de l’eau par osmose inverse. Deux études de « micro coût » ont montré une dépense de 112 € par an pour I’HDD avec ces systèmes contre 544 € avec une machine traditionnelle et11 38 € pour l’HD au centre24,25. Dans certains pays, des subsides privés, publiques ou caritatives ainsi que des remises peuvent être allouées pour les coûts supplémentaires spécifiques des patients (par exemple, allocation d’assistance, réduction des factures d’énergie, allocation de voyage, réduction d’impôt …). L’aide à ces coûts par le biais de programmes de remboursement peut contribuer à réduire le fardeau financier et à maintenir l’adhésion à cette possibilité.
Ce chapitre a fourni une vue d’ensemble de l’HDD, en termes d’expérience vécue par les patients et les partenaires de soins. La nature flexible de l’HDD s’éloigne de la rigidité du traitement au centre et instille un sentiment de normalité dans la vie des patients. Néanmoins, le soutien continu des patients et des soignants, par le biais de contacts réguliers avec le personnel soignant et avec les réseaux de dialysés, est fondamental pour le succès et l’expansion de l’HDD en tant que modalité viable.
Nous remercions les patients qui nous ont aimablement raconté leur vie avec l’HDD.